“Legitimacy is the foundation of media sustainability” (interview – HEC Montréal)
octobre 27, 2025“La Poste, UBS, SBB and SRG: Staying the course amid contradictions” (Article AGEFI)
novembre 21, 2025Entre performance et légitimité, les grandes institutions suisses affrontent des injonctions contradictoires.
Gilles Marchand
Prenons quelques grandes entreprises suisses emblématiques qui marquent l’histoire de ce pays. Par exemple, La Poste, UBS, les CFF et la SSR. Ces grands groupes nationaux agissent dans des secteurs différents. Mais ils partagent deux choses: d’une part, une place de leader dans leurs domaines respectifs, en entretenant des relations fortes, quasi quotidiennes avec leurs utilisateurs. D’autre part, ces fleurons d’un certain « Swiss made» se meuvent dans des secteurs très régulés et affrontent de ce fait, en permanence, des injonctions contradictoires.
Certes, La Poste, UBS, les CFF et la SSR bénéficient toutes quatre d’une relation particulière à la Confédération et aux financements publics. Ce qui implique une proximité active avec le monde politique dont les priorités ne sont pas toujours compatibles avec celles du marché. Logique. Mais on demande aussi à ces grandes entreprises de performer face à une concurrence très tendue.
Inutile de préciser que les secteurs de la distribution postale, de la banque, de la mobilité des personnes et de la consommation médiatique sont profondément, structurellement bouleversés. A mesure que se referme – douloureusement – le dossier Credit Suisse et que s’ouvrent celles des nouvelles règles prudentielles, on attend d’UBS qu’elle soit à la fois très solide et parfaitement modeste. Qu’elle prenne des risques mesurés pour financer l’économie, tout en réduisant ceux qui menacent le système. Qu’elle soit mondiale pour servir ses clients, mais lisible et responsable aux yeux du pays qui l’héberge. Qu’elle récompense le talent et, simultanément, contienne les incitations qui choquent l’opinion. Autant d’injonctions contradictoires qui ne relèvent pas seulement de la performance, mais du droit d’occuper une place centrale dans la société.
Cette tension traverse aussi La Poste qui doit assurer un service universel alors que le courrier décline. Si elle agit en pure entreprise, on l’accuse d’abandonner sa mission. Si elle se fige en administration, on lui reproche l’inefficience.
De leur côté, les CFF doivent constamment Investir massivement dans leurs gares, leurs trains et les lignes pour accompagner l’évolution démographique qui asphyxie progressivement la mobilité. Mais en même temps, le moindre retard ou la moindre variation de tarification de l’abonnement général sont vivement critiqués.
Enfin, la SSR, elle, doit parler à tous les publics, préserver la cohésion linguistique, soutenir la culture et le sport, assurer une information solide et s’en expliquer. Mais tout en limitant son développement numérique, en baissant ses moyens et en rivalisant avec des plateformes mondiales bien plus puissantes.
Dans un environnement de normes plus denses, de surveillance sociale et de concurrence globale, la légitimité devient la ressource qui conditionne tout le reste
Ce faisceau d’exigences contradictoires renvoie à une question devenue plus fondamentale que la performance: la légitimité. Non pas l’image ni la popularité du moment, mais la reconnaissance par la collectivité, par le public et par le législateur que l’organisation ou l’entreprise a le droit d’agir, d’occuper sa place. Cette reconnaissance ne se décrète pas. Elle se gagne, se travaille, se protège.
La difficulté est redoublée parce que la légitimité se joue sur plusieurs scènes à la fois. Etre acceptable aux yeux du public, crédible pour les autorités, conforme aux règles et pertinent pour le marché. Une banque systémique doit rassurer déposants et régulateurs tout en soutenant l’investissement. La Poste et les CFF doivent garantir l’accès à leurs prestations partout, tout en finançant leur modernisation. Un média public doit rester nécessaire aux yeux de ceux qui l’utilisent tous les jours, tout en se réinventant pour ceux qui ont changé d’habitudes, en préservant le mandat de service public contraint par une concession.
Dans ce contexte, ces entreprises doivent impérativement comprendre les critiques qui leur sont adressées, les points où leur légitimité est contestée, cartographier les attentes, distinguer l’utile du symbolique, mesurer les effets réels de leurs choix. Puis bâtir un narratif efficace et des engagements vérifiables qui expliquent leur rôle, leurs contreparties et les bénéfices collectifs produits, malgré les contradictions. C’est le fondement des analyses de légitimités qui observent les niveaux individuels, sociaux et systémiques.
Dans un environnement de normes plus denses, de surveillance sociale et de concurrence globale, la légitimité devient la ressource qui conditionne tout le reste. Elle ne remplace pas la performance, elle l’autorise. Et c’est en tenant compte, lucidement, de ces injonctions contradictoires que les grandes institutions préserveront l’essentiel: la confiance qui fonde leur pérennité.
https://agefi.com/actualites/opinions/la-poste-ubs-cff-et-ssr-tenir-le-cap-face-aux-contradictions
